La lutte
Je n'en parle plus beaucoup ici parce que ça ne sert à rien, parce qu'à part me défouler ça ne résoud rien, mais on galère toujours pour le coucher du Potam.
Il a 33 mois et ça fait 32 mois qu'on galère pour le coucher. Oui, même à un mois il hurlait et luttait contre le sommeil et ne s'endormait qu'une fois épuisé par ses pleurs. Même dans nos bras. Avant de comprendre, on en a passé des heures, se relayant pour le bercer, lui dire des mots doux, imaginer les coliques, le RGO, des maladies imaginaires, envisager de l'emmener chez le pédiatre qui nous disait "un bébé, ça pleure, c'est normal".
Et puis, on a fini par le mettre dans son lit et le laisser pleurer. Et il finissait par s'endormir, en pleurant ni plus ni moins longtemps que dans nos bras.
J'en ai versé des larmes, quand j'ai compris que même moi, sa maman, je ne pouvais pas l'apaiser dans mes bras et qu'il trouvait le sommeil dans les cris, seul.
Et puis, on s'est habitués. Et même, au bout d'un moment, ça a fait partie du rituel. On faisait le rituel du coucher, et puis on le quittait en sachant qu'il y aurait invariablement 10 minutes de hurlements, puis plus rien.
Depuis, c'est toujours pareil. Il approche de ses 3 ans, et ce n'est pas plus facile. Aller se coucher, pour Potam, c'est dramatique. C'est LE moment de la journée qu'il doit repousser. A tout prix. Tous les soirs. Même s'il est crevé.
Dès qu'il comprend que les préparatifs du coucher vont commencer, il lutte. Il refuse, il s'enfuit, il provoque, voire se roule par terre. Certains soirs c'est plus gérable que d'autres, mais il y a toujours une lutte. On est toujours en train d'inventer des subterfuges pour éviter la crise. LeTigre est fort pour ça, il a trouvé le truc, il invente des histoires avec les cousins du Potam, pendant qu'il lui lave les dents, par exemple.
Souvent, on essaie de comprendre. De trouver des causes, des solutions. Il y a par exemple des jours où on sait que Potam ne s'est pas assez défoulé dans la journée, et s'énerve un maximum avant de se coucher. Là, on sait qu'on va en chier.
Pour le calmer, on y passe du temps. On lit des histoires, on parle doucement, on rassure, on explique. Parfois, on trouve quelque chose qui marche, comme hier. C'est moi qui l'ai couché, et avant de quitter sa chambre, il s'excitait de plus en plus et commençait sa litanie "t'en va pas maman, je veux que tu restes avec moi", je lui ai dit "tu sais Potam, quand je te laisse et que tu cries, que tu fais des caprices, je n'aime pas, parce que je me dis que tu es mal. Et je n'aime pas quand tu es mal. Moi, je veux que tu sois bien. Je veux te quitter le soir en sachant que tu vas t'endormir tranquillement et alors, je peux aller me reposer car je sais que tu es bien. Tu comprends ?" Il m'a répondu "oui, je comprends. Je vais m'endormir tranquillement maman". Et il s'est allongé, a pris son doudou et m'a dit "bonne nuit maman". Deux minutes après, il a rappelé un peu mais je n'ai pas réagi et ça n'a pas duré.
Mais ce genre de choses, ça ne marche pas toujours, et surtout, il faut trouver quelque chose de nouveau tous les jours.
Il a besoin d'être rassuré, compris, besoin qu'on lui dise ce qu'il ressent, ce que nous ressentons.
Mais souvent ça ne suffit pas. Il faut qu'il hurle son désespoir de se retrouver seul dans sa chambre (pourtant il s'endort avec sa lumière allumée donc ce n'est pas de la peur), son désespoir d'arrêter enfin de jouer, de chanter, de courir, de sauter et de découvrir.
Un jour, je lui ai dit "tu sais que c'est quand tu dors que tu apprends le plus de choses ? Tu crois que tu ne fais rien mais ce n'est pas vrai, ton cerveau il travaille beaucoup la nuit !" il était tout content...
Et puis, je n'ai pas toujours l'énergie de tout lui expliquer, lui raconter, verbaliser, tout ça. Ca me fatigue. Parfois j'aimerais seulement lui lire deux histoires, lui faire un petit câlin, un bisou et le quitter tout calme prêt à dormir. Mais c'est de la science-fiction.
On s'adapte.
Ou plutôt, on tente de s'adapter mais parfois on ne sait plus.
Parfois je me dis seulement "et si on y passait trop de temps ?" et je me dis qu'il faudrait qu'on réduise le temps des préparatifs et des rituels, et qu'on le laisse faire son caprice sans jamais y retourner. Peut-être qu'au bout de quelque temps, ça porterait ses fruits. Mais de toutes façons cette réflexion est vaine, car LeTigre n'est pas d'accord. Il me dit seulement "il est comme ça, c'est tout. On fait avec, ça finira bien par passer". Peut-être.
On nous a souvent donné des conseils, ou fait comprendre qu'on s'y prenait mal, qu'on cédait trop, qu'il ne fallait plus y retourner, qu'on y passait trop de temps.
Tous ces gens, qui ont toujours eu des enfants qui se sont endormis sans problème, me font bien rigoler. Ils n'ont pas un Potam depuis 33 mois. Ils pensent avoir LA solution. Le pire, c'est que Potam se couche à peu près sans problème avec les autres. Du coup, ceux avec qui il se couche facilement nous racontent, tout fiers, ce qu'ils ont fait, pensant que jamais on aurait pensé à chantonner une berceuse ou à faire n'importe quel geste tout simple. Ils pensent qu'ils sont plus forts que nous.
C'est un peu agaçant.
Comment apaiser ce petit garçon si vif, si curieux, qui voit tout, qui pose mille questions, qui veut tout comprendre, tout savoir, qui nous épate par sa répartie mais qui ne sait pas se calmer. Il laisse s'emballer la machine et je ne sais plus comment l'aider à s'arrêter. Ou plutôt je sais, mais ça prend tellement de temps, tellement d'énergie. Il lui faut de longues minutes d'histoires puis de caresses, de paroles de plus en plus douces, bien choisies, des paroles qui l'apaisent, qui l'aident à canaliser un peu son esprit qui part dans tous les sens. Mais avant ça, il faut brider physiquement. Tirer les rennes très fort, mettre les gaz en arrière toute, et ça passe par la crise. L'obligation. La contrainte, la rébellion, puis l'acceptation après, la plupart du temps, des pleurs.
Mon petit garçon est passionnant, mais qu'est-ce qu'il m'épuise...