Musique
J'ai grandi avec la musique.
Pas la radio, pas les variétés, LA vraie musique, la musique classique.
Mon père enseigne au conservatoire, j'ai fait le conservatoire, ma soeur aussi, mon grand-père est connu dans le milieu, j'ai un oncle chef d'orchestre qui m'emmenait aux répèt générales des opéras qu'il dirigeait dans des loges vides, au premier balcon, où, accoudée sans gêner personne, je pouvais tout voir, tout entendre.
J'ai joué du piano, de la contrebasse, du violoncelle.
J'ai travaillé, dur, pendant des années, avec la pression de l'élitisme du conservatoire et celle de mes parents.
J'ai pleuré, supplié d'arrêter, tenu bon, continué, puis arrêté à l'aube de mes études car je ne pouvais plus tout concilier et n'avais pas envie d'en faire mon métier.
Depuis, j'ai encore joué souvent, chez mes parents, sur le piano à queue familial. J'ai eu longtemps dans les doigts ces sonates de Beethoven, ces pièces de Debussy ou Ravel ou ces fugues de Bach que je retrouvais le temps d'un WE.
Et puis, j'ai oublié. Mes doigts ont oublié. Je me suis retrouvée un jour en face de ce piano sans plus rien pouvoir jouer de mémoire. A butter sur quelques difficultés sans plus pouvoir continuer. A hésiter plus longtemps à la lecture des partitions aux portées un peu complexes.
Mes oreilles ont oublié, aussi. Je n'écoute plus de musique. Jamais. Je n'y pense pas, je n'ai pas le temps, pas l'occasion.
Je n'ai jamais eu de piano chez moi.
Quand je rentre chez mes parents et que j'entends mon père jouer, mes doigts me démangent, mais je n'ose pas m'asseoir à ce piano qui m'a si souvent supportée, pendant de si longues heures, qui a vu mes larmes, qui a senti mes doigts courir sur ses touches... Je ne sais plus, ça fait trop longtemps...
Depuis qu'on a déménagé dans notre grande maison, j'y pense à nouveau. J'ai enfin la place et il ne me manque plus que le temps d'aller choisir mon piano, puis le temps de m'y remettre, tout doucement. De retrouver mes partitions, d'en acheter d'autres, de renouer le contact et de retrouver ces sensations des doigts qui connaissent leur rôle, des doigts qui prennent leur place, l'un après l'autre et tous ensemble.
Et puis, Potam.
Potam qui regarde mon père jouer, subjugué.
Potam qui me regarde avec des étoiles dans les yeux quand je lui dis "je vais acheter un piano".
Potam qui a, enfin, l'âge de commencer, l'âge de s'initier, quelques minutes de temps en temps.
J'ai hâte...