Solitude
Je me suis replongée ces derniers temps (depuis que mon état physique s'est amélioré) dans les questions existentielles.
Je n'en ai pas encore reparlé ici mais ça me prend de l'énergie. Beaucoup d'énergie, et une grande question : ai-je vraiment ENVIE de découvrir qui je suis ?
Tant d'années à me camoufler inconsciemment, à me conformer, à entrer dans les moules coûte que coûte car je pensais que c'était ce qu'il fallait faire. La seule chose à faire. La seule solution, pour s'intégrer dans ce monde. Ce camouflage, c'est VRAIMENT devenu moi, je crois.
Je veux dire, je ne sais pas quelle est la limite entre le vrai moi, le moi initial et le moi social. A quel point cette mise en conformité, ce reset de tout ce qui était "non conforme" ou "hors norme", cette réinitialisation totalement inconsciente la plupart du temps, à la limite de la conscience à d'autres moments, totalement consciemment dans de rares (et récents) cas, n'a pas engendré un nouveau moi qui est VRAIMENT devenu moi.
Qui est-on, en réalité ? Est-on ce qu'on s'est construit, avec ce qu'on a appris, avec nos expériences, dans le monde social actuel, ou est-on profondément ce qu'on cache de soi loin profond à l'intérieur ?
Quel intérêt d'aller chercher tout ça ? Pour qui ? Pour quoi ?
Dès que je pense à mon enfance et à ce que j'ai refoulé toute petite, je pleure. Les larmes coulent et je suis partagée entre l'envie de TOUT dire et de TOUT pouvoir enfin expliquer, et le besoin de continuer comme je suis parce que c'est la seule manière que je connaisse aujourd'hui pour continuer à avancer.
Je me souviens de deux rêves que je faisais régulièrement, gamine. Deux rêves totalement angoissants. J'avais six ans. J'en ai un souvenir tellement douloureux que je me souviens de ces rêves d'enfant comme s'ils étaient encore REELS.
Dans le premier (peut-être dès 4 ou 5 ans), j'étais dans une pièce carrée et blanche, enfermée, seule avec des adultes qui enflaient, gonflaient, devenaient des bibendum gris et monstrueux qui prenaient toute la place, qui m'étouffaient, qui me terrorisaient, qui n'arrêtaient pas d'enfler jusqu'à l'étouffement car j'étais seule, petite, au milieu d'eux, je criais et personne ne me voyait.
Dans le second, plus simple, j'étais en haut d'une tour et je tombais dans un escalier en colimaçon en pierre, un escalier noir et froid qui faisait peur, la chute était interminable. Je refaisais ce rêve quasiment tous les soirs et j'avais peur d'aller me coucher car je savais que j'allais tomber dans l'escalier.
Je n'ai jamais raconté ces rêves, ni à mes parents ni à ma soeur.
A six ans, j'avais conscience que les adultes, et mes parents en particulier, ne pourraient pas m'aider. Je savais que j'étais seule. J'ai expérimenté la solitude et la peur toute petite, avec cette conscience aigüe qu'il fallait que je sois forte pour m'en sortir seule.
Et je pleure encore.
Ces deux rêves sont emblématiques de mon enfance. De ces deux cauchemars, je me suis sortie seule. Je les ai affrontés, chaque soir, avec la ferme intention de les déjouer dans mon sommeil. Et ça a marché. Je me souviens que pour l'escalier, en m'endormant je me disais "cette nuit je sais que je vais tomber, ce n'est pas grave, ce n'est qu'un rêve, je vais essayer de retenir ma chute avant d'arriver en bas". Et nuit après nuit, je suis tombée un peu moins loin, jusqu'au jour où je suis arrivée à anticiper la chute dans mon sommeil et à retenir mes jambes pour qu'elles aillent tout doucement et descendent marche après marche sans tomber. Je n'ai jamais vu ce qu'il y avait en bas de l'escalier. Après ce jour, je n'ai plus jamais fait ce rêve.
J'avais six ans et je savais me débrouiller toute seule.
Ce jour-là j'ai su que les adultes ne me seraient jamais d'aucun secours.
Depuis, je suis seule.
Toujours seule face aux autres, seule face à mes parents qui ne savent pas vraiment qui je suis car je joue une comédie, un rôle depuis que j'arrive à m'en souvenir. Comme ce jour où j'ai reçu à Noël mon premier vélo, mes parents étaient si contents de lire la joie sur mon visage, je me souviens de ce soir de Noël où je me suis dit "je vais leur offrir un peu de joie, ce soir" et j'ai traîné, exprès, pour découvrir le vélo à peine caché derrière le sapin. J'ai fait durer leur plaisir et j'ai feint la surprise alors qu'à peine le seuil de la porte franchi, je l'avais vu et je savais qu'il était pour moi...
Mais n'est-on pas tous toujours seuls ?
Je me sens incomprise depuis toujours, mais n'est-ce pas le cas pour tout le monde ?
Et moi, est-ce que j'ai vraiment envie de découvrir TOUT ce qui se cache derrière ce masque ? Est-ce que j'ai envie d'enlever ce masque ? Et comment ça va se passer dans mon boulot, dans mon couple, dans ma famille, si je leur offre mon visage nu sans le masque, du jour au lendemain ? Vont-ils me reconnaître ? Vont-ils me croire et essayer de me connaître ? Vont-ils comprendre ? Ne vont-ils pas se dire que je fais ma petite crise de la trente-cinquaine et que ça me passera ?
Je ne sais pas.
La seule chose que je sais, c'est que mon fils est comme moi et que je ne veux pas qu'à cinq ou six ans, il se dise qu'il ne pourra jamais compter sur moi.
Je veux savoir être là pour lui, même si c'est compliqué, même si ça demande de se remettre en question.
Peut-être que pour lui et seulement pour lui, je peux faire ce travail psy. Pour savoir qui j'étais petite pour comprendre qui il est.
J'ai lu dans ses yeux quand il est né. Je l'ai reconnu. J'ai reconnu ce regard, j'ai su dès les premières semaines qu'il était comme moi. Qu'il avait pris cette folie, cette curiosité, cette hypersensibilité et dès le début je lui ai promis de lui apprendre tout ce que je pourrais sur la vie. Je ne veux pas faillir à cette mission, la plus belle et la plus importante qui soit. Mon fils a de la chance d'être né à une époque où on cherche vraiment à comprendre et à aider les enfants.
Si seulement quelqu'un avait essayé de me comprendre, on aurait pu m'aider, peut-être...