A l'hôpital
A l'hopital, on se sent un peu seul.
Un peu, plus très humain.
On devient un numéro, un code barre, une pathologie. On vous met un bracelet avec un code barre. On vous identifie par votre numéro de chambre et par votre pathologie ("la bartho à la 4").
On attend beaucoup. Tout le temps, en fait. On ne vous dit pas ce que vous attendez, ni combien de temps ça va prendre. Vous n'avez plus de montre, votre téléphone est éteint (de toutes façons vous n'avez plus de batterie), le temps s'arrête, vous passez votre journée à attendre vous-ne-savez-quoi qui arrivera vous-ne-savez-quand.
On vous met dans une salle avec un lit, en attendant. En attendant quoi ? Vous savez pas trop. Vous comprenez vaguement que peut-être l'anesthésiste passera vous voir et qu'il faut prendre une douche à la bétadine. Vous vous grouillez en vous disant que ce serait quand même ballot que l'anesthésiste entre dans la chambre pendant que vous êtes nue sous la douche. Et puis vous mettez une blouse (qui ferme derrière avec des pressions, c'est nouveau ça nan ? En même temps, si vous êtes seule, impossible de fermer les pressions...), avec RIEN dessous, et vous attendez qu'on "vienne vous chercher". Pour vous emmener où ? Qui ? A quelle heure ? Vous ne savez pas. Et comme l'inconnu est source de stress, vous stressez. Vous commencez à transpirer de stress mais en même temps vous avez si froid dans cette pièce fraiche, à moitié nue. Si vous avez de la chance, votre conjoint vous accompagne, mais à tous les coups il sera bien plus occupé à jouer avec l'écran tactile monté sur bras articulé sur lequel il regarde la télé, surfe sur internet ou fait des sudoku, totalement ignorant de votre condition de patient-malade-numéro.
Et puis, on vient vous chercher pour aller au bloc. Vous êtes là depuis un peu plus de deux heures, vous avez déjà vu quatre personnes différentes, mais c'est encore deux autres qui viennent vous chercher. On ne vous dit toujours rien, ni combien de temps ça prendra, ni où vous serez ensuite, ni ce que vous devez faire de vos affaires qui finiront dans les mains de votre conjoint, qui, perdu dans le couloir, repartira avec à la maison (et là, vous vous sentez encore plus seule alors que vous n'avez même plus votre culotte dans cet établissement. Quant au portable ou au portefeuille, c'est un détail !).
Arrivée au bloc, personne ne vous calcule. Vous avez déjà attendu une plombe dans une salle "d'attente" que l'anesthésiste veuille bien vous consacrer une minute pour savoir si vous faites des allergies, et puis ensuite vous traversez, allongée, toujours à moitié nue sous un drap mal mis qui manque de dévoiler votre intimité à tout l'hôpital, et de surcroit à reculons, d'interminables couloirs jusqu'au bloc. Vous avez encore toute votre conscience, vous tremblez de stress et de froid, le perf dans la main vous fait un mal de chien, mais personne ne vous regarde, personne ne vous parle. Les infirmières parlent du sapin de Noël qu'elles vont acheter et du caractère de l'anesthésiste, mais vous et votre trouille, tout le monde s'en tape.
Vous attendez encore, avec cette impression d'être tout d'un coup transportée dans un épisode d'urgence ou de greys anantomy, au-dessus de vous il y a deux énormes lampes avec des centaines de petites ampoules, on vous écarte(lle) les bras, on vous prend la tension, on vous met des électrodes, vous tentez un trait d'humour pour qu'enfin on vous regarde un peu et ça marche, pendant deux minutes vous échangez des banalités avec deux infirmières et vous retrouvez un instant votre statut d'être humain.
Et puis l'anesthésiste arrive, sans un mot il met le produit dans la perf, on vous colle un masque d'oxygène dans lequel vous avez l'impression d'étouffer, le produit se diffuse douloureusement dans votre bras et d'un seul coup, c'est le noir complet. Vous entendez vaguement qu'on vous appelle "Madame ! Madame ! faut vous réveiller là !" mais vous ne pouvez pas parler, vous voulez juste dormir, retourner dans ce trou noir qui doit ressembler à la mort, cette inconscience tellement confortable, tellement profonde dont vous n'arrivez pas à sortir...
Quelque temps (secondes ? minutes ? heures ?) après on vous emmène dans une chambre et on vous laisse là, seule. Vous ne savez pas ce qu'on vous a fait exactement (il y avait deux options et personne n'est capable de vous dire laquelle a finalement été retenue), ni si vous allez voir quelqu'un bientôt, ni si vous aurez le droit de manger avant la nuit, ni si votre conjoint est prévenu, ni trop où vous êtes. On vous a donné le numéro de votre chambre mais vous n'êtes pas en état de retenir un nombre de plus de deux chiffres (et là y en a 4, c'en est trop...).
Vous attendez, vous croisez des infirmières, on vous prend la tension, on vous demande si ça va, on vous explique que la douleur dans la gorge et le nez et la poitrine sont normales car vous avez été intubée, on vous met du paracetamol dans la perf et on vous laisse là. Sans explication sur l'acte qui a été pratiqué, toujours nue sous la blouse, vous ne savez pas si vous avez le droit de manger, ou de vous lever, ou de boire, ou de faire pipi.
La nuit, vous essayez de vous reposer mais quelqu'un entre toutes les deux heures pour vous prendre la tension et remettre du paracetamol dans la perf. La perf dans la main vous empêche de dormir, ça brûle, ça lance, bien plus qu'à l'endroit de l'intervention mais on vous dit que c'est normal. Ah bon.
Le matin, vous ne savez pas quand vous verrez le médecin qui vous dira enfin ce qu'il a fait et si vous pourrez sortir, vous ne savez pas quand vous allez pouvoir retourner au boulot, ni quand on va vous apporter le petit-dej, mais vous commencez à être habituée à attendre sans savoir et pouvez regarder tranquille télématin et les maternelles (sur les enfants très rapprochés, quelle ironie).
Vous êtes hospitalisée en service gynéco.
Vous avez une grosse protection de maternité dans votre culotte que vous avez enfin retrouvée.
Vous avez encore plus mal à la foufe que quand vous avez accouché. Vous apprendrez juste après que la plaie est ouverte, qu'il y a un drain qu'il faudra changer tous les jours, inséré dans la plaie, sans anesthésie. Youpi. Vous ne pouvez pas vous asseoir.
Vous vous êtes juste faite opérer d'une grosse infection de la glande de Bartholin.
C'est quand même con, d'avoir tous les inconvénients d'un accouchement sans les avantages (le bébé).